Des pages pour écrire…

Je sors de la voiture en bougonnant. C’est la fin des vacances.

Je traine mes ballerines en évitant les flaques de pluie, les yeux rivés à mon Samsung aux touches tactiles. J’aperçois le bas du trenchcoat crème de ma mère qui marche d’un pas vif vers la librairie-papeterie dans laquelle nous faisons les fournitures depuis des années.

La petite rue pavée est plutôt vide à cette heure de fin d’après-midi et je trouve ça encore plus déprimant.

 

Dans 4 jours, c’est la rentrée. Je rentre en 3^e et je sens que cette année sera encore une année difficile. Ma mère m’a déjà servi son couplet sur le Brevet et mon cœur bat à l’idée de retourner en cours.

Pour l’instant et comme chaque année, nous faisons les fournitures.

Elle pousse la porte vitrée qui s’ouvre dans un tintement d’une petite cloche.

L’atmosphère chaude et encombrée m’apaise immédiatement. Je range mon téléphone et lève les yeux vers les hauts rayonnages en bois. Des livres, des albums, des cahiers, des pochettes enfermant on ne sait trop quoi…

Cette petite librairie aux parquets qui grincent me tranquillise et me donne envie d’ouvrir tous les livres et les cahiers que je vois devant moi.

« Madame Tulipe ! Vous avez passé de bonnes vacances? »

Un monsieur aux cheveux blancs mais aux yeux bleus apparait de derrière la réserve et dans un grand sourire, sert la main de ma mère.

« Très agréable merci ! Et les vôtres? »

« Oh vous savez ma chère dame… A mon âge, on est constamment en vacances… »

Je ne les écoute plus. Je me suis éloigné plus en avant dans la librairie. J’ai aperçu une grande table en bois sur laquelle sont entassés des dizaines de jolis carnets de notes. Des plus grands et des moins grands, des souples et des rigides… J’en ouvre certains et constate que parfois ils sont lignés et parfois non.

Les couvertures sont en papiers ou en cuir; certaines sont si travaillées que je me demande ce qu’on peut bien y écrire.

« Ils sont beaux n’est-ce pas? »

Je lève la tête et je vois la femme du libraire. Une vieille dame très mince qui avait dû être très belle des années auparavant. Son regard est doux derrière ses lunettes.

J’acquiesce. Je ne sais jamais trop quoi dire devant les personnes âgées.

« Tu aimes écrire? » me demande t’elle en s’approchant. Une de ses mains longe le plat de la grande table en bois brun.

Je la regarde et réponds « Assez… »

J’entends ma mère qui rigole avec le vieil homme et d’un coup d’œil, je la vois détailler le polycopié de ma liste de fourniture.

« Sur quoi écris-tu? » me demande la vieille dame.

« Sur des cahiers à spirales… Les cahiers des cours. »

« Et cela t’inspire? » dit-elle en fronçant légèrement les sourcils.

« Bah… C’est pratique quoi… »

Elle me regarde et ne dis rien. Je me sens mal à l’aise, j’ai l’impression de ne pas être à ma place.

Elle soulève une petite pile et me tends deux carnets en cuir : ils sont fermés par le devant et leur pochettes sont extrêmement bien travaillés. Ils sont magnifiques.

Ce sont des Papers Blanks.

Je choisis un doré à la couverture travaillée et très alambiquée. Il me plait. A l’intérieur, de fines lignes sont tracées comme une invitation à l’écriture.

« Si tu aimes écrire, tu écriras encore mieux sur des beaux carnets… Fais-moi confiance. »

« Merci… »

Je lui adresse un sourire timide. Elle me sourit également mais ses yeux pétillent et se plissent adorablement.

« Cerise ! » La voix de ma mère.

Je me retourne vers elle.

« On est parti ! J’ai déposé la liste, on viendra récupérer les affaires demain soir. Tu as choisis tes stylos? »

« Oui, attends. Je voudrais prendre ce carnet ! »

Je m’approche d’elle et lui montre l’objet. Elle hoche la tête et me faisant signe de le poser à la caisse devant le monsieur.

« Ah… Vous avez craqué sur ces petits trésors… Mademoiselle, vous ne le regretterez pas! »

Je souris, gênée.

« Les stylos? Des Uniball Eye Fine comme tous les ans? »

J’hoche la tête de nouveau.

Ma mère tend sa carte de crédit pour me payer mon carnet et quelques minutes plus tard, nous sommes de nouveau sous la pluie. Je serre contre moi le sachet en plastique contenant mon précieux carnet. Je ne sais pas du tout ce que je vais y écrire encore, je ne sais même pas si j’oserai y écrire quelque chose, mais je suis heureuse de l’avoir.

Dans l’habitacle de la voiture, ma mère se tourne vers moi avant de démarrer :

« Et bien… Si j’avais su que tu sourirais quelques jours avant la rentrée, je t’aurai offert ce carnet au début des vacances Cerise! »

Je soupire et sors mon téléphone pour couper court à son ironie.

 

 

Ma passion pour la papeterie et les carnets de notes vient très certainement de ce jour-là.

J’ai une étagère rempli de carnets Paper Blanks qui sont définitivement mes préférés, mais j’ai également des Moleskine et des Chronicles Books (sur les photos)…

Les carnets rythment ma vie et m’ont permis de coucher sur papiers des choses que j’avais du mal à dire à voix haute. Avant ce blog, avant mon blog.

Aujourd’hui encore, j’écris. Pas forcément ce qui me tracasse ou me rends heureuse mais également des idées d’articles, des scénarios de vidéos, des listes en tout jours, des pense-bêtes…

Ma vie est rythmée par ce gratouillement de l’encre sur le papier. Et aucun clavier ne pourra remplacer cela.

• Ce que j’écoute en vous écrivant : Canadian Sunset – Ray Barretto