Monsieur Cerise

Je pose mon verre de vin sur la table, un sourire sur les lèvres.
Je regarde ma mère parler avec sa meilleure amie et je souris de les voir éclater de rire après presque 35 ans d’amitié. Elles semblent presque sœurs.
Celle que je considère aujourd’hui comme ma tante coupe le flux de mes rêveries :

« Cerise, depuis combien de temps n’as-tu pas eu de nouvelles de Paul* ? »

Paul, son fils, celui que je considère comme mon cousin sans qu’il n’en soit vraiment un…
Je me souviens vaguement avoir été « amoureuse » de lui avant même d’avoir appris à lire.
Je m’enfonce dans mes souvenirs comme dans un épais brouillard pour voir une chambre dans laquelle deux enfants rigolent sur le lit au lieu de faire la sieste.

« Tu me fais un bisou? » Cette question résonne encore dans le brouillard de mes souvenirs.

Je souris à ma tante :
« Presque 15 ans, je dirais… »

« Oh tu dois reprendre contact avec lui! Il fait ses études aux États Unis maintenant… »

C’est vrai, après tout. Cela peut même s’avérer drôle de se reparler après tout ce temps.
Qu’est-il devenu ?
Je note le numéro de téléphone qu’elle me donne en me promettant de lui écrire dès que j’aurais un moment.

 

Et je ne l’ai pas eu ce moment.
Un mois s’est passé sans que je contacte ce lointain cousin de mes souvenirs d’enfance.

 

Début octobre, un vendredi soir où l’ennui et le découragement lié à ma situation de chômage semblaient plus lourd que d’habitude, je retombe sur son numéro.

J’écris.
Sans vraiment y croire.
Comme ça.
Pour tromper l’ennui.

Il répond. Il ne dit rien d’exceptionnel. Il semble même franchement ennuyant.
La conversation tourne assez court.

 

Trois jours plus tard, il m’écrit de nouveau.
Il parle un peu plus, il est drôle…

Il propose : « Un FaceTime, ça te tente ? »

Pourquoi pas ? Je ne sais même plus à quoi il ressemble.

Bruit de sonneries.
Temporisation de connexion.
Et l’image s’affiche.
Silence dans mon cerveau.

Il. Est. Beau.
Genre, vraiment beau.

Instinctivement, je passe ma main dans mes cheveux et lui sourit.
Qu’est ce qui m’arrive ?

On discute et je regarde son visage. Noir, fin, séduisant.
Il rigole à l’une de mes blagues et dévoile de parfaites dents blanches.

Mais au-delà de sa beauté, ce sont nos conversations qui gagnent en profondeur…et en longueur.

Trois heures.
Quatre heures.
Six heures.

 

Je ris avec lui, je délire devant lui, je débats de tout et de rien avec lui. Et je lui raconte.
Tout.
Ma vie, mon célibat, mes histoires passées, leur lot de larmes et d’humiliation.
Mes frasques et mes abus.
Mes joies, mes peines, mes révoltes et mes motivations.

Et il fait de même.
Ses études, la guerre en côte d’ivoire, ses échecs amoureux… Tout.

Deux âmes connectées par écrans interposés, séparées par un océan et sept longues heures de décalage.

Les jours passent et nos conversations deviennent addictives, nécessaires.

 

Et un soir :
« Quand est-ce que tu viens me voir ? »

La grande question.
Je joue la provocation pour tromper les battements de mon cœur. J’hausse un sourcil ironique :

« Pour quelle raison viendrais-je te voir ? »

Il répond sans aucune hésitation, me fixant, sérieux, derrière la caméra :

« Parce que je suis amoureux de toi. »

Je suis tellement sous le choc et si flattée que je rigole…assez niaisement, il faut bien l’avouer.

« Comment ça ? T’es amoureux de moi, comme ça ? »

« Oui. Comme ça. Je suis comme ça… Quand je suis sûr de quelque chose, je ne vois pas d’intérêt à le cacher… »

« Je… »

« Ne te sens pas obligé de me le dire ou même de le ressentir Cerise ! Juste, moi, je te le dis… »

 

Mon cerveau était tout cotonneux. Je me sentais gênée, flattée, effrayée et surexcitée à la fois.

Gênée parce que je n’étais pas sûre de ressentir la même chose.
Flattée parce que c’est très rare qu’un homme me le dise en premier.
Effrayée parce que je mourrais de peur de faire confiance à un homme à nouveau.
Surexcitée parce que je sentais que quelque chose d’énorme était en train de se produire.

 

Quelques jours après, j’ai pris la décision, sur un coup de tête d’y aller, de partir aux Etats-Unis, de le revoir après toutes ces années. Pour confirmer ou infirmer ce qui se passait entre nous. Je me refusais de ressentir des sentiments basés sur du néant.

Si je mettais fin à mon célibat, je voulais que ce soit pour quelqu’un qui en vaille la peine. Et le meilleur moyen de savoir si c’était lui, c’était d’aller vérifier de mes yeux.

 

C’est ainsi que le 27 décembre, je suis montée dans un avion en direction d’Austin au Texas.

 

Je suis à l’aéroport d’Austin, mon cœur bat tellement fort que je suis persuadée de le sentir dans ma bouche. J’entends les informations par les hauts parleurs mais rien ne m’atteint vraiment.
Je récupère ma petite valise et me dirige vers le hall d’arrivée.

Il est là.
Grand, très mince mais tout aussi beau que je l’imaginais. Il me sourit et je lui réponds.

Je le sens timide mais je ne le suis pas du tout. Mon cœur bat mais je suis heureuse : il est comme derrière l’écran. Mieux que derrière l’écran.

 

Dans le taxi, il me taquine et sur l’autoroute, il prend ma main. Je sens ses longs doigts fins et froids entre les miens. Il les serre légèrement et me sourit lorsque je le regarde.

 

Quand est ce que je me suis rendu compte que je l’aimais plus que je n’ai jamais aimé aucun de mes copains ?

À New York.
Il m’avait fait la surprise de m’y emmener pour le Nouvel An. Ce fut magique.
Mais ce ne fut pas ça. La chose, le truc qui a tout fait chaviré.

Ce qui a tout changé, c’est très simple, tout petit, infime. Et parfois, il ne faut pas plus.
Sur le vol retour vers Austin, nos places ont été modifiées : nous n’étions donc plus à côté pendant les deux heures de vol. Nous étions à l’opposé l’un de l’autre.
C’est bête mais ça m’a rendu très triste.

J’étais assis à ma place, un livre à la main, résolue à passer mon vol à côté d’un homme qui ronflait déjà.
Soudain, un jeune blond au teint bronzé me touche l’épaule :

« Excuse me! Your boyfriend over there told me that you would like to switch our seats… »
« Oh ! Really? Oh! Thank you! »

J’ai saisi mon sac à main et ai traversé la moitié de l’avion pour rejoindre Paul. J’ai vu son adorable visage me regarder et un large sourire illuminé ses yeux.
En m’asseyant à ses côtés, mon regard interrogatif devait parler de lui-même.

« Deux heures sans toi, c’était déjà trop.»
Il a dit ça comme s’il m’avait demandé de lui passer le sel. Comme si c’était la chose la plus normale et naturelle. Comme si c’était parfaitement assumé.

C’est à ce moment-là.
Précisément.
Que j’ai su que j’avais trouvé mon Monsieur Cerise.

« Qu’est ce qui a ? »
« Rien… Je… Je peux te dire un secret ? »
« Oui… Dis-moi »

Je m’approche de son oreille, mon cœur tambourinait contre ma poitrine.
Je chuchote :

« Je… Je t’aime. »

C’était dit. Et surtout totalement ressenti.

Il a reculé son visage et a ouvert de grands yeux. Comme si je l’avais giflé.
Je pose ma main sur sa joue et souris comme je n’avais pas souris depuis très longtemps.

Aujourd’hui, je vis donc une relation à distance. A longue distance. A très longue distance.
Et ce n’est pas facile. Du tout.

 

Mais chaque retrouvaille est meilleure que la précédente, chaque conversation construit notre histoire, chaque fous-rires semble unique.

 

Aurais-je enfin trouvé le bon fruit?
En tout cas, je l’espère.
Il ne s’appelle pas Monsieur Cerise pour rien.

*Evidemment, Paul n’est pas son vrai prénom… Ahah !

Vous aussi vous vivez une relation à distance? Je vous donne des conseils par ici :

[youtube]https://youtu.be/Yo8unOsBQBs[/youtube]